La médiation animale, notamment avec le chien, pour les mineurs incarcérés s’impose de plus en plus comme un outil thérapeutique puissant, notamment dans des environnements où les solutions traditionnelles échouent à apporter des résultats durables. Dans le cadre carcéral, cette approche prend tout son sens, particulièrement avec les jeunes délinquants. L’article que nous vous proposons explore cette rencontre particulière entre un mineur incarcéré et un chien. Révélant une facette souvent oubliée des jeunes détenus : leur humanité. Face à l’animal, le mineur cesse d’être perçu uniquement comme un délinquant pour redevenir, dans les yeux de ceux qui l’observent, un enfant capable d’affection et de connexion. La présence d’un chien agit comme un catalyseur de changement, facilitant l’expression d’émotions refoulées et ouvrant des portes vers une réinsertion plus sereine.
Au-delà de la simple interaction, ces moments de médiation animale avec le chien permettent aux jeunes mineurs incarcérés de prendre conscience de la responsabilité et du soin, des compétences essentielles à leur réhabilitation. Ce texte met en lumière une méthode novatrice, alliant tendresse et pédagogie, pour redonner espoir à ces jeunes souvent enfermés dans un cycle de violence et d’exclusion. Découvrez comment ces initiatives changent le quotidien de mineurs en détention, et pourquoi elles pourraient bien redéfinir les contours de la justice et de la réinsertion.
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SERIE « JUSTICE ET MÉDIATION ANIMALE » (3). Devant un chien, un mineur incarcéré « n’est plus un délinquant, c’est un enfant »
Grâce à l’intervention de l’Association française de thérapie assistée par l’animal (AFTAA) dans les EPM notamment, les mineurs en détention font tomber leur posture sociale face aux chiens médiateurs, qui agissent alors comme un catalyseur. Une présence canine qui participe à remplir les axes de travail donnés par la PJJ dans l’accompagnement des mineurs, et à libérer la parole.
« Quand la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse nous confie un jeune détenu, elle nous donne aussi des axes de travail », explique Baudouin Duriez. Formé en zoothérapie, l’homme a fondé l’AFTAA, l’Association française de thérapie assistée par l’animal – au départ « AZP » – en 2006.
Aujourd’hui, l’association est composée de 16 toutous médiateurs dont 12 en activité, tous des golden retriever, une race réputée pour sa sensibilité et son affection, et d’une équipe pluridisciplinaire de professionnels (ergothérapeute, psychomotricienne, psychologue…) formés par la suite à la médiation. Et s’ils se rendent principalement dans des structures médicalisées, certains binômes interviennent aussi en pénitentiaire, notamment pour accompagner des jeunes en foyer et dans des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM).
Adoptés à l’âge de deux mois et demi, les chiots sont placés en famille d’accueil, suivent des cours d’éducation canine toutes les semaines et se rendent déjà dans les milieux pénitentiaires « pour s’imprégner des lieux, des odeurs : ainsi, quand ils commencent à travailler à 18 mois, ces lieux ne leur sont pas inconnus », détaille Baudoin Duriez.
« La parole se libère plus facilement »
Auprès des jeunes détenus, les binômes sont orientés vers les mineurs qui rencontrent le plus de difficultés. L’animal, qui arrive avec son « partenaire » humain – lequel n’est « pas catalogué pénitentiaire » (et rarement identifié comme un professionnel de santé) –, a tendance à apaiser immédiatement le jeune, généralement plus enclin à démarrer ou prendre part à un dialogue, rapporte Baudoin Duriez.
Mais le chien est surtout un facteur dérivatif : « Si la psychologue en séance avec un jeune arrive à un “noeud” dans la conversation, l’attention est reportée vers le chien : il va jouer avec, le caresser… », illustre Baudouin Duriez. Finalement, le chien occupe l’espace physique, de parole, et c’est là « un point clé », affirme le président de l’AFTAA. « Le mineur n’est jamais mis en échec et la parole se libère plus facilement. Les animaux sont de puissants supports de communication. »
Leur présence aide notamment à « la reconnaissance des faits et leur mise en perspective », « axes sur lesquels on nous demande régulièrement de travailler », témoigne Baudoin Duriez. En effet, un certain nombre de jeunes ont tendance à dédramatiser les actes qu’ils ont commis. Le travail de l’intervenant consiste donc à remettre ces actes en perspective dans leur esprit et à leur faire prendre conscience de la gravité de ceux-ci.
Le chien comme support de projection
De la même façon, plutôt que de poser certaines questions qui pourraient être perçues comme trop directes par le mineur – par exemple, en lui demandant comment il ressent le fait d’être séparé de ses parents -, la psychologue se sert du canidé, en lui donnant un rôle de projection qui permet de détourner la conversation : « tu penses que les parents du chien lui manquent ? » ou bien « aujourd’hui le chien semble triste, tu saurais me dire pourquoi ? ».
Inconsciemment, le jeune se projette sur l’animal et donne une réponse qui correspond « à 90 % à sa réalité ». « Le chien peut tout être en fonction des axes de travail, et cela passe pour la pénitentiaire par la communication au sens large, l’intégration – qui ne sont pas des plus simples dans ce milieu ».
L’association intervient également auprès de personnes détenues majeures purgeant de longues peines, et a la particularité d’accompagner des adultes incarcérés reconnus coupables et responsables de leurs actes mais présentant des troubles cognitifs ou schizophréniques, à Château-Thierry, en Seine-et-Marne, depuis 2011. Les séances se tiennent toutes les semaines pendant quatre mois, « même lieu, même jour, même heure, même intervenant, même binôme, même détenu ; ce qu’on appelle le cadre thérapeutique », indique Baudoin Duriez. Les intervenants de l’AFTAA reçoivent notamment pour « consigne » de faire progresser les détenus sur la question de l’hygiène, afin que ceux-ci prennent soin d’eux et de leur cellule.
Là encore, le chien fait office de support de projection. Si l’intervenant indique qu’il n’a pas eu le temps de brosser le chien et qu’il le fera plus tard, les détenus ont en effet généralement le réflexe d’insister pour le faire immédiatement, donnant l’occasion au professionnel de rebondir en leur demandant pourquoi. « Ils vont répondre qu’il faut que le chien soit propre, et finalement, ces arguments qu’ils utilisent pour l’animal, ils les appliqueront ensuite à eux-mêmes de façon détournée. »
Des binômes sont également envoyés dans des cellules sales : le chien est alors utilisé pour mettre en évidence que la cellule est dans un tel état que même l’animal ne veut pas y entrer. On explique aux détenus que le sol est trop collant pour l’animal ; qu’une odeur ne lui plaît pas. « Les détenus vont alors tout mettre en œuvre pour rendre leurs cellules plus propres afin de pouvoir accueillir le chien la prochaine fois, et la semaine suivante, vous pouvez être sûre que la cellule est nettoyée », relate Baudouin Duriez. « Un détenu a voulu tellement bien faire qu’il a lavé le matin-même de la visite sa cellule à l’eau de javel, mais a eu la main un peu trop lourde, l’air était irrespirable ! » s’amuse-t-il.
« La motivation, c’est l’affection »
« Ce que le détenu ne fera pas pour lui, il le fera pour le chien, avance le président de l’AFTAA. La motivation, c’est l’affection qu’il peut donner au chien et l’envie d’interagir avec l’animal qui ne juge pas la personne par rapport aux faits qu’elle a pu commettre, mais uniquement par rapport à l’interaction qu’elle a avec lui ». Les chiens médiateurs donnent en effet du sens aux personnes visitées, explique Baudouin Duriez. « Ils sont, avec les intervenants, des liens d’accroche. Et une fois qu’il y a un ancrage, le travail est un peu plus facile. »
En compagnie du chien, source affective importante, le comportement des mineurs change par ailleurs du tout au tout, ajoute le président de l’AFTAA. « Quand un jeune est face à l’un de nos chiens, on retrouve un enfant. Ce n’est plus un délinquant, c’est un enfant qui se met à quatre pattes pour jouer avec le chien ; qui pleure quand il voit l’animal ». A contrario, dès qu’il n’est plus dans le cadre d’une séance seul avec l’animal et qu’il retrouve ses pairs, le jeune prend une tout autre posture sociale, observe Baudoin Duriez. « Quand avec nos chiens, on croise des groupes dans les couloirs, ils jouent quasi-systématiquement les indifférents ». Raison pour laquelle les séances en EPM se font uniquement en individuel, explique-t-il.
Dans les établissements pénitentiaires pour détenus majeurs où les séances peuvent se dérouler en groupe, l’intervenant et le chien sont « la porte ouverte à la communication, à l’affectif » analyse Baudouin Duriez. « C’est important pour un détenu de se sentir aimé par un être vivant et qu’il l’aime en retour ». La présence des chiens responsabilise également beaucoup de détenus qui vont cantiner non pas pour eux, mais pour acheter des croquettes pour le chien, des balles de tennis… « Ça leur donne un engagement, une responsabilité sociale. »
Idem du côté des mineurs en EPM. Si la séance n’est pas obligatoire, ils s’y rendent d’eux-mêmes, sans « carotte », assure Baudoin Duriez. « On est l’activité, l’accompagnement avec le taux d’absentéisme le plus faible qu’un EPM ait jamais connu » se réjouit-il, confirmant l’adhésion des jeunes pour ce format. Une adhésion qu’eux-mêmes verbalisent souvent : « On reçoit beaucoup de lettres de jeunes qui témoignent de l’effet bénéfique de la présence du chien, de lettres pour remercier l’association. On a régulièrement des dessins, des poèmes ! »
Un règlement intérieur pour préserver le bien-être des chiens médiateurs
Nala, Jackpot, Samba et leurs compères remplissent donc leur office haut la patte. Un travail qui n’est toutefois pas encadré en France. Alors, à défaut, l’association a élaboré son propre règlement. Objectif : préserver le bien-être de l’animal. Les golden retrievers de l’association ne peuvent donc pas travailler plus de trois heures par jour, pas plus d’une heure d’affilée, avec un minimum d’une heure de pause entre chaque heure travaillée, et leur intervention doit être limitée dans certaines structures. « On ne peut pas dépasser un score de 9 pour un chien dans une journée. La prison par exemple est scorée 1, un Institut médico-éducatif (IME) est scoré 3. Avec ce système de score, un chien ne pourra donc pas faire 3 IME dans la même journée » illustre Baudouin Duriez.
L’équilibre des canidés se fait également en dehors de leur temps de travail, auprès de leurs familles d’accueil, chez qui ils vivent 24h/24. « À la différence des chiens qui restent à la maison toute la journée en attendant le retour de leur maitre, les chiens médiateurs sont constamment avec leurs maitres avec qui ils forment les binômes intervenants », et le reste du temps, « ils vivent la vie de n’importe quel chien », souligne Baudoin Duriez. Ils ne travaillent cependant pas toute leur vie, et partent pour une retraite bien méritée vers 8-9 ans.
Bien que les interventions de l’association fassent le bonheur des patients et des détenus qu’ils accompagnent, de nombreuses structures ne peuvent toutefois, pour l’heure, bénéficier des séances de thérapie assistée, faute de chiens disponibles, regrette Baudouin Duriez. « A Paris intra-muros par exemple, nous n’avons pas de disponibilité avant janvier 2026. » Quatre nouvelles recrues devraient toutefois arriver prochainement, à l’instar de Vanie. Actuellement en formation, la chienne, baptisée ainsi en hommage à la toute première recrue de l’AFTAA, pourra commencer à travailler en septembre 2025, dans les traces de son homonyme.
Allison Vaslin