Article écrit par Nadège Simon, ergothérapeute en médiation animale de l’AFTAA dans le magazine « Ergothérapie«
Lien vers le PDF original : Chienne de vie
Résumé : Ergothérapeute en EHPAD, je suis confrontée à la problématique de la personne âgée démente. J’ai mis en place un atelier de zoothérapie au sein d’un Espace de Vie. Je présenterai ici cet atelier, son cadre et ses objectifs thérapeutiques pour les personnes accueillies. Le propos d’une résidente au cours de l’une des séances de zoothérapie m’a véritablement touchée et je le développerai ici. En définitive, je mettrai en avant les résultats obtenus grâce à la réalisation de l’atelier de zoothérapie et la mobilisation des personnes qu’il a suscitée.
Les chiffres tombent, 25 % des plus de 80 ans et 50 % des plus de 90 ans présentent une démence. Un pourcentage élevé qui nous fait réfléchir, ainsi que le gouvernement qui en fera « la grande cause nationale » de l’année.
Mais qu’est-ce que la démence ? La définition médicale des états démentiels nous met en garde dès les premiers mots : « Leur pluralité se justifie par la variabilité de leur représentation clinique, de leur âge de survenue, mais surtout par le difficile problème de leur origine». Il n’est donc pas aisé de définir avec exactitude le terme de démence puisque son expression peut prendre différentes formes. Et qu’initialement le terme de démence constitue un concept anatomo-clinique. Ce qui signifie qu’il fait uniquement figure de diagnostic probable du vivant de la personne. Toutefois les démences, quelles qu’elles soient, ont des caractéristiques communes. Que l’on peut résumer à des troubles de la mémoire associés à un affaiblissement global et acquis des fonctions intellectuelles. L’étymologie du mot se veut également floue puisque démence signifie absence d’intelligence, d’esprit.
Absence d’esprit ?
Absence d’esprit ? La personne démente ne serait alors qu’un corps… vieux et cabossé qui plus est ! Cette idée peut faire bondir (premier degré), sourire (second degré) ou affliger (triste réalité) lorsqu’on se retrouve face aux attitudes et réactions de certains aidants, soignants, familles…
Jeune promue en Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD), j’ai découvert avec stupeur la méconnaissance de la démence. Un mot qui fait peur, qui fait « fou », acéré comme un couperet qui descend peu à peu. Comment intégrer notre suivi en ergothérapie dans ce processus démentiel ? Quels axes privilégier ? Si l’on se réfère au Mémento Alzheimer de 2004. Les « ergothérapeutes contribuent, en utilisant les techniques pour réapprendre les gestes de la vie quotidienne ou en conseillant des appareils et accessoires adaptés aux handicaps, à permettre aux personnes de retrouver ou de maintenir leur autonomie individuelle et sociale ». Notre travail d’ergothérapeute ciblerait alors l’installation du patient au lit, au fauteuil roulant, la proposition d’aides techniques et la réalisation d’ateliers ciblés sur les actes de la vie quotidienne. Cette proposition me semble un peu réductrice, quoiqu’elle s’inscrive directement dans la ligne étymologique du mot « démence ».
La résidence Paris Maine Alésia, au sein de laquelle je travaille, dispose d’un lieu de vie sécurisé accueillant les résidents les plus dégradés sur les plans physique, psychique et/ou cognitif. Cet espace a longtemps véhiculé un message péjoratif, sorte de mouroir clos, l’entrée d’un résident en ses murs signifiant pour la plupart (famille comme soignant) « début de la fin ». De par l’architecture de l’EHPAD, l’Espace de Vie est situé au bout d’un couloir d’un étage entièrement sécurisé. Afin de déMystifier ce lieu « fermé – caché », j’ai souhaité y apporter « de la vie » : une « Chienne de Vie », ou la naissance d’un atelier de zoothérapie.
I. ZOO… QUOI? PETITE DÉFINITION DE LA ZOOTHÉRAPIE
Selon l’Institut Français de zoothérapie, « la zoothérapie est une médiation qui s’exerce en individuel ou en petit groupe à l’aide d’un animal familier, consciencieusement sélectionné et éduqué, sous la responsabilité d’un professionnel, appelé le « zoothérapeute », dans l’environnement immédiat de la personne chez qui l’on cherche à éveiller des réactions visant à maintenir ou à améliorer son potentiel cognitif, physique, psychosocial ou affectif ». J’ai souhaité élaborer ce groupe en co-thérapie afin de bénéficier de la complémentarité des deux thérapies. Le zoothérapeute apporte son chien, sa connaissance de l’animal et des interactions que l’on peut induire avec le patient dément. L’ ergothérapeute apporte sa connaissance du résident et définit des axes de travail individualisés pour chaque personne prise en charge. C’est lui qui réalise les bilans et apprécie l’évolution personnelle du résident au cours de l’atelier. Ensemble sont définis les différents jeux ou activités à réaliser en séance (définition des axes à travailler : mobilisation articulaire, équilibre, mémoire, praxies) et/ou choix des exercices (lancers de balle, parcours de locomotion, brossage du chien, puzzle…).
Co-thérapie
Je parle de co-thérapie mais rien n’ aurait pu exister sans la présence de Vanie, jeune Golden retriever spécialement éduquée pour travailler’ auprès de personnes handicapées. Cette chienne, appartenant au zoo-thérapeute est le médiateur vivant de ce projet. Il ne s’agit pas là d’un chien visiteur : simple présence, support de caresses : en effet il est investi au cours de la séance, on s’en occupe, on joue avec lui, il est support d’échange et de relation. Il est le médiateur vivant d’un travail thérapeutique.
II. PRÉSENTATION DU CADRE
Les séances hebdomadaires d’une heure amènent un repère spatio-temporel aux personnes démentes accueillies au sein de l’Espace de Vie. Cet atelier s’adressant à un groupe fermé, une pré-selection des résidents potentiellement intégrables est réalisée en amont, en collaboration avec le personnel soignant de la structure. Les thérapeutes et le chien rendent ensuite visite à chacun des résidents en individuel et observent ce qui se joue avec l’animal, comment la personne va réagir vis-à-vis de lui : désintérêt, peur, fuite, expression de souvenirs… Le langage corporel comme verbal est pris en considération.
A l’issue de cette première rencontre, zoothérapeute et ergothérapeute désignent ensemble les trois résidents qui constitueront le groupe. Le choix de réaliser l’atelier en groupe réduit (trois personnes, deux thérapeutes, le chien) permet à chacun de disposer de temps auprès de Vanie, d’entrer en relation, de réaliser des activités avec elle, il favorise les échanges entre les participants et la verbalisation des ressentis. L’ergothérapeute définit les objectifs
thérapeutiques de chacun des résidents afin d’élaborer un projet de soin, véritable feuille de route partagée avec le zoothérapeute.
III. POURQUOI LA ZOOTHÉRAPIE – MEDIATION ANIMAL ? MES OBJECTIFS THÉRAPEUTIQUES
Mon premier souhait était de créer au sein de l’Espace de Vie un atelier thérapeutique appor tant un dynamisme nouveau. Je voulais casser l’image d’un lieu sécurisé où rien ne se passp et c’est en ce sens que la venue d’un intervenant extérieur m’a semblé pertinente. Non lié à la structure, il apporte un regard nouveau riche d’expériences multiples au sein d’autres EHPAD. Réaliser l’atelier en co-thérapie a permis de concilier une connaissance du résident avec le recul et la neutralité des observations d’un oeil extérieur.
Mes objectifs thérapeutiques lors de l’atelier sont multiples et individualisés. Mais on peut dégager trois grands axes que sont : la revalorisation, le travail des fonctions supérieures et le travail moteur.
3.1. La revalorisation
Le médiateur vivant qu’ est le chien permet de travailler sur l’image que la personne âgée démente projette d’elle-même. En effet, elle se voit confier des « responsabilités » en réalisant les soins de l’ animal (nettoyage des yeux, des oreilles). Le rapport « soignant — soigné » s’inverse au profit du résident qui retrouve un « pouvoir » et par là même une valeur. Il est source de verbalisation et permet d’appréhender sous un autre angle les réactions que la personne atteinte de démence peut avoir au cours de la toilette ou lors des soins.
De plus, l’atelier, fonctionnant sur le mode du groupe fermé, permet la conservation des relations sociales dans un cadre sécurisant. Les thérapeutes sollicitent les échanges, qu’ils soient verbaux ou corporels, autour de la base commune qu’est le plaisir à être en présence du chien. Une dynamique s’instaure au fil des séances, où la parole de chacun est écoutée et entendue, une relation de confiance se crée entre les résidents et avec les soignants.
La présence du chien
La présence du chien offre un moment de plaisir où l’on va pouvoir jouer, mais aussi échanger avec Autre dans un langage verbal et corporel. Cette dualité prend ici toute , sa dimension, l’animal réagissant principalement au non verbal. En montant cet atelier, je souhaitais donner aux résidents une « aire de jeu » permettant un retour à des relations corporelles et plus particulièrement tactiles. Le chien, son contact, l’attitude des thérapeutes doivent permettre l’expression corporelle du patient. En offrant au corps du résident la possibilité de s’exprimer et un environnement apte à le recevoir nous réamorçons une relation à l’Autre, en perdition. Le langage corporel est ainsi investi dans une action positive et plaisante, il devient porteur de sens. La personne âgée ayant tendance à se replier sur elle-même peut extérioriser une affectivité souvent débordante. La communication s’établit alors sur d’autres bases et l’enfermement imposé par l’inintelligibilité des propos est levé.
3.2. Les troubles des fonctions supérieures
Le chien offre un support ludique pour les différentes perturbations cognitives qui émergent avec l’entrée et l’avancement dans la démence. L’atelier de zoothérapie permet de travailler sur aphasie, l’apraxie, l’agnosie et les perturbations des fonctions exécutives. Je présenterai brièvement différents jeux que l’on peut mettre en place au cours de l’atelier et qui ont pour objectif de faire « travailler » ces fonctions déficitaires. Tout d’abord la présence du chien fait directement appel au stock mnésique et lexical de la personne. Comme les souvenirs liés au vécu personnel, termes spécifiques de l’univers canin, verbalisation des ressentis… et stimule ses capacités de restitution.
Le chien permet l’utilisation de différents objets de la vie quotidienne. Et donc un travail, ludique et revalorisant, autour des troubles praxiques (brosser le chien, lui donner à boire, mettre son body, enlever le collier) et gnosiques (manipulations de balles, brosses, gants, bouteilles d’eau, appariements d’objets, associations par couleur). De plus, nous utilisons durant les séances différents supports ayant un lien direct avec le chien ou représentant Vanie. Par exemple jeu de domino dont les points sont remplacés par des photos, petits puzzles. Lorsque nous réalisons ce type d’exercices nous faisons en sorte de maintenir l’aspect ludique en recherchant l’interaction avec l’animal vivant.
3.3. La motricité
En dernier lieu, l’animal va permettre de réaliser différents exercices mettant en jeu le corps tant dans une motricité globale (locomotion, voir fig. 1) que dans des gestes fins et ciblés. Le placement du chien par rapport à la personne lors de l’activité va permettre de travailler des points précis. Tel la rééducation par l’orientation spécifique du mouvement qu’il va solliciter. La réalisation de parcours de marche, d’activités de lancers de balles. (avec le déséquilibre à geré équilibrage qu’elles induisent ainsi que les mouvements de ramassage.) permet un travail sur l’équilibre et une approche ludique et plaisante de la prévention des chutes.
IV. LA «VÉRACITÉ» DU CHIEN
Au cours d’une séance de zoothérapie, alors qu’on lui demandait sa propre définition de la zoothérapie. Mme L. nous a répondu : « c’est de soigner la personne par la tranquillité, par la véracité du chien ». Cette définition qu’elle nous a donnée dans l’instant m’a fait prendre conscience de cet aspect que j’avais pour le moins occulté. En effet, la « véracité » du chien n’est pas quelque chose que l’on planifie, que l’on travaille ou que l’on évalue. Elle « est » tout simplement. Alors que la vie en institution pose la question de « l’avoir » (« vous avez mal ? », « vous avez bien mangé ? », « vous avez vu votre fille ? »), la présence du chien offre un temps d’expression à « l’être ».
En effet, comme nous l’explique Hubert Montagner, « on ne s’en rend pas compte, mais la plupart des gens détournent les yeux lorsqu’ils sont en présence d’une personne malade ou handicapée. Les animaux jamais. Au contraire, ils cherchent le regard et prolongent même ce rapport ».
4.1 La présence du chien en médiation animale
Cette présence, cette interaction corporelle avec le résident est une des clés thérapeutiques de la venue de l’animal au sein de l’institution. L’animal ne juge pas, n’a pas « peur de la démence ». Il ne voit pas la personne comme handicapée mais comme un être vivant digne d’intérêt. La personne âgée retrouve un complice avec qui elle peut « être », partager et échanger sur un mode physique comme verbal. La réalisation de l’atelier en groupe restreint permet à chacun de bénéficier d’un véritable moment de plaisir et de bien-être. Puisque l’attention des thérapeutes permettra d’adapter chaque séance aux besoins spécifiques des personnes.
La venue du chien a ainsi une véritable incidence sur la mémoire émotionnelle’ du résident. Chez les personnes âgées les plus dégradées par les troubles démentiels. Cette mémoire émotionnelle devient la clef de la réussite du projet. Elle permet de désamorcer des comportements d’agitation pathologique en apportant au résident un moment de bien-être et d’ échange agréable. Les interactions réalisables et réalisées sont multiples. Et cette diversité d’échanges avec un être vivant permet de désamorcer une tendance au repli sur soi, au désintérêt, à la désafférentation sociale qu’induit peu à peu l’avancée dans la démence. De plus, le contact du chien, les différents jeux que l’on peut proposer permettent un retour à une sensorialité vraie puisqu’ils vont faire émerger deux notions du toucher. On retrouve la capacité à « être »,
4.2 La notion d’être touchée
la personne utilise son toucher et accède à la notion « d’être touchée ». En jouant avec les sens, et plus particulièrement le toucher, nous permettons une interaction directe entre « l’intérieur » et « l’extérieur ». La peau n’est ainsi plus l’organe d’un sens en tant que tel. Mais la surface d’ interposition entre le sensible et le sens. On est alors dans le partage et l’échange, dans le plaisir de l’ instant.
En définitive, au-delà des bénéfices observés sur les personnes âgées. Tel que resocialisation, plaisir à sortir de sa chambre, diminution des comportements d’agitation pathologique, acceptation des soins…. La réalisation de l’ atelier de zoothérapie a catalysé la mise en place d’activités animées par les soignants au sein de l’Espace de Vie. En cristallisant les regards, en suscitant la curiosité, les échanges et l’envie. L’atelier a su renforcer la motivation des équipes sur le terrain. Mais aussi à s’ investir dans des projets d’animations pour les personnes démentes. Aujourd’hui, la zoothérapie a fait ses preuves dans notre structure.
Fortement investie par les résidents, l’atelier fait beaucoup parler de lui. Au-delà de l’impact visible sur nos résidents, l’engouement des soignants et familles pour ce projet m’a profondément touchée. La venue de Vanie a permis à certains de réamorcer un échange avec leur patient, leur parent. Elle offre en effet un sujet d’échange porteur d’une valeur positive, revalorisant pour la personne âgée. Les inter-relations résident-soignant-famille s’en trouvent renforcées. La question se pose maintenant d’accueillir en nos murs un nouveau résident… à quatre pattes. Une nouvelle « Chienne de Vie » afin qu’un maximum de personnes puissent bénéficier de la présence de l’animal’ et de ses vertus`’.
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